Emménagement

La porte s'ouvre, projetant un rai de lumière blanc glacé dans la pièce, puis le plafonnier s'allume, et Deidre entre dans la pièce.

Elle a minci, Deidre, vraiment. C'est un très joli porte-manteaux roux à yeux verts, elle ne porte donc que deux petits sacs. Elle a l'air fatiguée, mais quand ses yeux découvrent la pièce, le lit deux places, l'holovision au mur et les rangements intégrés (plus les deux portes en plus : l'une qui conduit à une salle de bains riquiqui et celle menant à la chambre d'à côté, prévue pour être une nursery), eh bien son regard s'illumine.

Elle se tourne vers l'extérieur.

- Leith ! Viens voir !! Tu le croiras jamais... Les murs sont tous blancs !

Leith passe l'encadrement de la porte avec quelque difficulté, lesté qu'il est de tout le reste des bagages. Une fois extirpé du goulot, il inspecte les lieux, ses yeux champagne brillent une seconde, puis se teintent d'inquiétude en se reposant sur sa rousse, son rayon de soleil, son univers, son égérie.

Elle vient de le tutoyer dans des circonstances pas du tout torrides, et ce n'est pas bon signe.

Il pose en vrac deux sacs de marin, un énorme sac à dos et une valise à roulettes dans l'unique coin vide de la pièce, puis s'en va saisir Deidre par les épaules et derrière les genoux, l'enlève du sol et la dépose sur le lit.

Mon cœur, je couvrirai nos murs de couleur plus tard. Pour l'instant, je voudrais -- non, j'exige -- que vous vous reposiez. Moi, je vais vous chercher un plateau-repas. Interdiction formelle de retourner dans les couloirs apaiser les conflits pendant mon absence !

Quand Leith la soulève, la jeune femme lui passe automatiquement les bras autour du cou, pose son nez dans son cou. Elle adorerait rester là, comme ça, sans bouger... juste une heure ou deux ou... Cruelle déception, il la dépose doucement sur le lit.

Mon cœur, je couvrirai nos murs de couleur plus tard. Pour l'instant, je voudrais -- non, j'exige -- que vous vous reposiez. Moi, je vais vous chercher un plateau-repas. Interdiction formelle de retourner dans les couloirs apaiser les conflits pendant mon absence !

- ... D'accord Leith. Je serai une compagne douce et obéissante, et vous attendrai lors de votre virile quête de nourriture.

Enfin, c'est surtout que de toutes façons, elle pourrait difficilement faire un pas dehors sans tomber dans les pommes.
Ce n'est pas que le vaisseau l'oppresse, non, il ne le fait pas tant que ça. C'est juste que... la montée à bord s'étant faite dans le plus grand désordre, tous les habitants sont nerveux, anxieux, déboussolés... agressifs. Et qu'il a fallu négocier, apaiser, consoler tant de monde... Mais enfin, l'essentiel est là : ils ont une pièce pour eux. Une fonction sur le vaisseau. La possibilité d'enfanter... enfin, selon le toubib, il faudrait pour cela qu'elle reprenne au moins cinq à sept kilos, histoire que son cycle reprenne normalement.
Rien que pour cela, il faut manger.

Sourire à son amoureux inquiet.

- Je vous attends, chéri. Je vais même tenter de dormir un peu.

- ... D'accord Leith. Je serai une compagne douce et obéissante, et vous attendrai lors de votre virile quête de nourriture.

Leith glousse, puis rentre la tête dans les épaules, arbore une expression bovine et grogne :

Femme obéir, et homme partir chasser purée sans goût. Après, si femme être très très sage, homme daigner honorer sa couche.

Après un clin d’œil suivi d'un bécot d'adieu qui finalement se prolonge en interminable palot, il se décide à quitter leur petit nid d'amour, tout en dansant une espèce de truc du scalp et en agitant une lance imaginaire.

Deidre pouffe. Ça lui fait du bien. Leith lui fait du bien. Toujours.

Cependant, malgré la lassitude le sommeil ne vient pas. Elle se tourne, se retourne, finit par s’asseoir, excédée.

- Bon. Si je défais les sacs, je vais me faire gronder... Ah mais par contre, si je visite ça ne laissera pas de traces...

Elle se lève donc, et va visiter la salle de douche : 3m2 pas trop mal agencés, avec tout en petit... mais tout. Elle pourrait déjà s'y voir, frottant le dos de son énergumène favori avec délectation quand son transcom sonne. Elle y répond machinalement.

- Oui ? ... Non, je suis en train de prendre possession de ma cabine. Oui, ce n'est plus mon quart. Je reprends d'ici douze heures, j'ai enchaîné deux quarts, et je ne serais plus efficace... Oh. ... Effectivement, ça a l'air compliqué, et...

Elle se passe la main sur le visage, l'air las, déjà à demi convaincue, quand la porte s'ouvre.

Un plateau thermoformé dans les mains, le vaillant chasseur fait son entrée, en chantonnant :

Madame est servie !

Personne sur le lit. Panique immédiate.

Deidre ? Deeeidre ?

Quand sa muse passe la tête à la porte de la salle d'eau, il se détend.

Alleluiah. La femme ne s'est pas laissée tenter par les sirènes du devoir. Voilà votre menu gastronomique, mon coeur.

Il ne dit pas par quoi il a dû passer pour s'épargner une heure de queue, mais chasser le mammouth était certainement plus reposant.

Il pose le plateau sur une table minuscule et s'incline en désignant la chaise des deux mains.

Si madame veut bien se donner la peine ?

Leith et son plateau. Le téléphone.
Le téléphone. Leith et son plateau.

Ramené au péril de sa vie, sans nul doute, à voir l'état de sa coiffure.

Refuser l'offrande serait une offense sans nul doute mais... Oh, c'est compliqué...

Murmure.

- C'est au service médical. Ils ont une famille qui s'énerve et...

Leith fronce les sourcils et prend doucement le transcom des mains de sa douce.

Oui, allô. Ici le garde-malade de Melle Fairfax. Melle Fairfax est épuisée, et si elle ne se repose pas, elle va vous claquer entre les mains. C'est ce que vous voulez ? ... Bien, je vois qu'on se comprend. ... Voilà, pas avant une semaine. ... C'est ça, merci, au revoir.

Il appuie triomphalement sur le bouton de fin d'appel et regarde sa chérie d'un air de doux reproche.

Vous oubliez tout ça et vous vous reposez, c'est un ordre. De votre Cro-Magnon préféré.

Dans le regard vert soudain un peu plus brillant, Leith peut voir qu'il est un héros.

L'impression est confirmée par le fait que la jeune femme entoure sa taille de ses bras, et se blottit contre lui sans rien dire pendant quelques instants, avant de reculer et de dire sur un ton presque joyeux :

- Alors, que m'avez vous amené de b... comestible ? C'est du pseudo quoi, au menu ?

Et finir par un baiser claquant pour lequel elle a besoin de se hisser sur la pointe des pieds ET de l'inciter à se pencher vers elle.

Leith adore quand il a l'air d'un héros dans les yeux de sa douce. D'ailleurs, s'il s'écoutait, le baiser durerait bien plus d'une seconde, même que ça ne le dérange pas du tout de rester plié en deux, et même que...

Et même que sa chérie a faim et qu'elle est toute maigre. Un peu de discipline, que diable ! Il se redresse et jette un œil penaud vers le plateau en se frottant la nuque.

Ils n'essaient même plus de leur donner un nom de vrai plat. J'ai croisé Kim l'autre jour dans un couloir, vous vous rappelez de Kim ? Eh bien, elle travaille aux fermes hydroponiques, et elle m'a dit que la seule chose qui pousse assez vite pour en faire de la nourriture, pour l'instant, c'est le bambou. Alors, purée de bambou pour tout le monde, assaisonnée à la poudre protéinée des réserves.

Elle m'a dit aussi que ça serait meilleur et plus varié dès que les premières récoltes des autres machins seront faites. Et encore meilleur quand les bébés vaches et moutons seront assez grands.

Tout en parlant, il la pousse doucement vers la chaise, la fait asseoir, soulève le couvercle de la bouillie. Ça ne ressemble à rien, mais au moins, c'est chaud.

Hmmmm... C'est fou comme la description de ce nutriment lui met l'eau à la bouche. Mais bon. Son chéri a fait l'effort insigne d'aller se colleter avec l'administration, pour elle. Et il est inquiet. Ses yeux la suivent attentivement alors qu'elle porte une cuillérée à la bouche, et l'avale. Elle peut bien faire ça pour lui, son ? Et aussi pour pouvoir... donner la vie, peut être ?

Allons. Il faut manger. ... Même si elle s'arrête au milieu du plat en ayant la sensation de presque exploser, c'est largement mieux que tout ce qu'elle a pu faire depuis qu'ils ont intégré le vaisseau. Elle jette à Leith un regard par en-dessous, puis murmure :

- J'ai fait un effort, mais... il y en a vraiment trop. ... Désolée.

Elle prend la main de son amoureux en guise de demande de pardon.

Qu'est-ce qu'elle est belle quand elle mange, Deidre. Ou quand elle fait quoi que ce soit d'autre, d'ailleurs. Mais Leith aime beaucoup la regarder manger, en ce moment, parce que ces creux dans ses joues, là... et puis les salières au-dessus des clavicules... et puis les... hum, on ne descendra pas plus bas... mais c'est un peu un crève-cœur.

- J'ai fait un effort, mais... il y en a vraiment trop. ... Désolée.

Trop ? Mais enfin... Il y a les 700 kilocalories recommandées pour un repas, ma douce... Faites un effort...

Tiens, c'est quoi, cette sensation, là, au creux du ventre ? Leith se frappe le front.

Zut, j'ai oublié de prendre deux plateaux. Quel ahuri. Je peux en prendre une cuillerée ?

Mais quelle truffe : elle n'avait même pas noté qu'il n'avait rien pris pour lui... Du coup pour se rattraper, elle lui agite une pleine cuillerée de purée encore chaude sous la truffe, avec un air coquin.

- Une bouchée pour Deidre... Une bouchée pour Kim... Une bouchée pour...

Oups. Pour qui ? Elle n'a pas vraiment osé demander lesquels des amis de Leith ont réussi à monter sur le vaisseau. La proportion ne doit pas être énorme, même si ce sont de francs costauds. Elle, elle a perdu Hilde, et elle n'aurait pas cru que la vilaine garce lui manquerait autant. Quant à Nola... Il lui semble l'avoir aperçue au fond d'un couloir, puis... elles sont parties chacune dans une direction différente, et...

- ... pour Deidre, encore.

Bisou sur le nez, et elle lui donne la cuillère, il ira plus vite tout seul.

- Mon chou en sucre... Je pourrais peut être vous aider, pendant mes vacances du service médical ? Sinon, je vais m'ennuyer, toute seule dans cette petite cabine....

Regard de chaton paumé sur l'autoroute un soir de neige.

Leith ouvre grand la bouche à chaque cuillerée, dans le plus pur style "bébé docile". Invité à finir de manger tout seul, il exhale un léger soupir et termine la bouillie en deux temps.

Mon oiseau des îles, comme d'habitude, vous trichez. Vous savez bien que je ne peux rien vous refuser quand vous me regardez comme ça.

Pour l'instant, je préconise pour vous... la position allongée.

Joignant le geste à la parole, il enlève derechef sa muse pour la déposer sur le lit.

Je peux vous servir de doudou ?

Léger rire familier.

- C'est bien dans ce but que j'utilise cette technique. Je suis une fourbe manipulatrice. Nous les Va... rousses, on est comme ça, c'est bien connu !

Ne plus prononcer le mot. Oublier les maux de tête lancinants causés par une puce explosive qui ne savait littéralement plus où elle était, sans information de Papa ou Maman puce. Oblitérer l'opération, bénigne mais assommante, et le manque d'appétit et d'entrain, depuis.

Changer.
De sujet entre autres, puisque son amoureux taille XXL la dépose sur le lit.

- Je peux vous servir de doudou ?

Tendre les bras pour un baiser, un câlin tendre.

- Je n'osais vous le demander...